lundi 6 octobre 2025

Avoir été, être encore

Robert Redford ? C'est par mon ami Philippe, alors en plein voyage professionnel à Tokyo, que j'ai appris sa disparition, le 16 septembre. J'ai cru opportun d'attendre avant d'écrire un éloge et donc laissé le fil de mes chroniques se dérouler comme prévu, autour de dix textes prêts à être publiés. Et... j'ai cherché un film de Bob à voir ou revoir !

Parmi trois-quatre options possibles, j'ai opté pour un long-métrage que je n'avais pas encore pu découvrir: Le cavalier électrique. Précision historique: cet opus est l'un des sept que ce cher Robert tourna avec son grand ami réalisateur, Sydney Pollack (1934-2008). Au sommet de sa beauté, l'acteur y incarne un ex-quintuple champion du monde de rodéo, Norman "Sonny" Steele, à présent sur le déclin. Une très sérieuse blessure l'ayant écarté du terrain de ses exploits passés, il en est réduit à mener des opérations de relations publiques pour son sponsor - une marque de céréales pour le petit-déjeuner. Lassé de cette vie, il aurait bien envie de déchirer son contrat. Finalement, un soir, attendu à dos de cheval sur la scène d'un casino de Las Vegas, il va tout envoyer promener et déguerpir avec l'animal ! Ce qui suscitera la colère de ses chefs, la panique de ses agents artistiques et la curiosité d'une jeune journaliste en panne de scoop...

J'en ai dit beaucoup, mais je veux vous rassurer: je n'ai pas tout dit. D'abord confiné dans des intérieurs bling-bling, ce beau film méconnu nous offre aussi une jolie vue dégagée sur l'Amérique des campagnes. C'est presque dans un road movie, finalement, que Steele / Redford nous embarque. Avec lui, Jane Fonda, parfaite en reporter de télé fortement attachée aux valeurs de la presse, mais moins psychorigide qu'elle n'en a l'air de prime abord. Le duo fonctionne à merveille. Librement adapté d'un roman, le long-métrage ose même s'aventurer dans des registres variés: sa bande-originale renforce sa dimension mélancolique, sans nuire à ses aspects comiques et/ou romantiques. Chut ! Le cavalier électrique respire la sincérité: à vous d'en juger. J'ai bien peu de choses à lui reprocher, si ce n'est quelques longueurs dans sa partie finale - il dure deux heures pile, générique compris. Mes goûts évoluent, bien sûr, mais je vois encore comme une chance de pouvoir fréquenter ainsi les mille et un monstres sacrés du cinéma américain. Et rien qu'avec Robert Redford, je suis loin d'en avoir fini !

Le cavalier électrique
Film américain de Sydney Pollack (1979)
Ce cinéma des gens de peu, lié aussi aux grands espaces, me fascine. J'y vois une représentation de la liberté et de ces utopies humaines qui, parfois, l'enrichissent. Comme dans Les désaxés, d'une tonalité tragique, ou Jeremiah Johnson, autre opus du duo Pollack / Redford. Je trouve en outre quelques parentés chez Schatzberg (L'épouvantail) et Eastwood (Bronco Billy). La continuité d'une forme de solidarité...

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Allez, confidence pour confidence...

Je précise que les autres films qui étaient en balance pour ma séance d'hommage étaient Votez McKay, L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux et All is lost, sortis tour à tour en 1972, 1998 et 2013. Arte a opté pour la redif' d'Et au milieu coule une rivière (1992). J'ose désormais vous assurer qu'il n'y a là que quatre parties remises !

En attendant, pour retrouver le film du jour...

Vous pourrez sans autre délai consulter la page de "L'oeil sur l'écran".

samedi 4 octobre 2025

Des voeux par centaine(s)

Tiens ! Il faut bien reconnaître que je suis passé devant cette info sans m'y arrêter: le 16 octobre 2023, le groupe Disney a eu cent ans. Je reviendrai (peut-être) un autre jour sur ses tous premiers pas historiques dans le vaste domaine du divertissement. Ma chronique d'aujourd'hui sera, pour sa part, dédiée au long-métrage anniversaire.

Je me souviens: sorti en novembre, Wish - Asha et la bonne étoile n'avait pas reçu un très bon accueil de la part de la presse spécialisée. Son box-office en France reste honorable: un peu plus de 2,8 millions de tickets vendus et la onzième place au classement de l'année 2023. Pour faire simple, le film repose sur une héroïne, Asha, à deux doigts d'être acceptée comme apprentie auprès du roi de Rosas, son pays. Seulement à deux doigts: l'entretien avec le souverain est un échec. Pire, il révèle que Magnifico, qui conserve les voeux de ses sujets sous la forme de bulles lumineuses, refuse d'utiliser ses pouvoirs magiques pour exaucer ceux qui ne servent pas ses propres intérêts. À la réflexion, il commencerait volontiers une carrière de dictateur. Le tout en violation manifeste de ses engagements passés ? Oui, oui !

Sauf que, bien sûr, il y a Asha et ses amis pour contrarier son projet. Le scénario de Wish... reste de fait très "classique" pour du Disney. Certains se sont d'ailleurs amusés à compter les supposés clins d'oeil aux autres productions du studio, contrairement à moi qui suis resté au premier degré de l'analyse filmique (en y prenant un réel plaisir). Sur le plan technique, j'ai - au départ - eu besoin d'un peu de temps pour m'habituer à ce mélange d'animation traditionnelle et d'images conçues par ordinateur, mais je n'ai rien vu de honteux pour un projet de cette envergure, doté d'un budget total de 200 millions de dollars. À noter qu'il faut également classer le film parmi les nombreux opus contenant des chansons: je sais que cela ne plait pas à tout le monde. En un mot, j'oserai dire que c'est une oeuvre assez conservatrice. J'assume ce qualificatif peu flatteur et vous confirme du même coup que cette non-originalité ne me dérange pas, vu que je m'y attendais. Il est évidemment permis de privilégier les oeuvres plus ambitieuses. Je suis déjà convaincu d'en voir d'autres... y compris côté animation !

Wish - Asha et la bonne étoile
Film américain de Chris Buck et Fawn Veerasunthorn (2023)

Disney le présente aussi comme son 62ème Classique d'animation. Bon... j'ai mieux apprécié les deux précédents, Encanto et Avalonia. L'important est de bien mesurer les stratégies marketing déployées par Mickey (et qui ne fonctionnent pas toujours). Mon opus du jour vaut bien La reine des neiges II. Et lui, au moins, il a un méchant ! Un défaut à citer ? Ce serait d'être un tantinet TROP sérieux, je crois.

jeudi 2 octobre 2025

Même combat ?

C'est presque une coïncidence: ce jeudi, j'enchaîne un deuxième film consécutif avec une guerre et un fleuve. Cette fois, je vous entraîne vers l'Amérique du Sud et sur le delta de l'Orénoque, au Venezuela. J'avance dans le calendrier et, de 1914, je passe directement à 1945. D'un conflit qui démarre, donc, à un autre dont l'armistice est proche !

La guerre de Murphy
- oui, c'est le titre du film - a bien peu d'égards pour la vérité historique. Son personnage principal est un matelot engagé sur un cargo britannique, attaqué et coulé par un sous-marin allemand. Unique survivant, notre homme est recueilli par des civils installés à proximité, autochtones, bien sûr, mais aussi européens. Parmi eux: une femme médecin anglaise - quaker ! - et un ingénieur français, qui va devenir un grand ami pour le "naufragé malgré lui". Lequel va petit à petit se perdre dans une funeste idée de revanche...

Les deux hommes avaient-ils réellement... le même combat ? Pas sûr. À vous de voir comment leurs espoirs se concrétiseront - ou pas. Simple précision: la vraisemblance n'est certes pas le premier atout du scénario (adapté d'un bouquin). Ce qui n'est pas un réel problème. Malgré quelques longueurs et faiblesses d'écriture, les personnages s'avèrent assez attachants pour qu'on passe un bon moment avec eux. Le casting fait d'ailleurs belle impression: si Peter O'Toole cabotine parfois plus que de raison, Philippe Noiret est quant à lui excellent dans un registre beaucoup plus sobre et un rôle plutôt inattendu. Unique femme à l'écran, la Galloise Siân Phillips est très bien aussi. J'ai apprécié que le film ne recule jamais devant les ruptures de ton et, par ailleurs, ne fasse pas preuve d'un quelconque manichéisme. Comment l'ai-je découvert ? Tout à fait par hasard, dans le catalogue d'un opérateur VOD. Je n'en avais jamais entendu parler auparavant. Comme vous l'aurez compris, ce fut donc une fort agréable surprise. De celles qui me font aimer le cinéma, au-delà des grands classiques !

La guerre de Murphy
Film britannique de Peter Yates (1971)

Cette fois encore, je vous laisserai lire ailleurs le récit d'un tournage calamiteux - au point de causer la mort de la scripte, tout de même. Le résultat est imparfait, mais ne mérite pas de tomber dans l'oubli. Il n'avait attiré que 382.377 spectateurs dans les salles françaises. Peter Yates, lui, reste surtout connu pour son Bullitt, il me semble. J'avais néanmoins préféré suivre sa caméra dans Les grands fonds...

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Pour conclure, voulez-vous une anecdote folle ?

Confiante en son talent, la Paramount avait d'abord pensé à Yates pour la réalisation d'un tout autre film: rien de moins que Le parrain. Les aléas de la production cinéma ne finissent pas de me surprendre !

mardi 30 septembre 2025

La guerre, un fleuve et...

Une vie suffit-elle pour voir tous les grands classiques de Hollywood ? Joker ! Plutôt que de chercher une réponse, j'ai préféré me pencher sur un titre à la réputation flatteuse: L'odyssée de l'African Queen. Un film en Technicolor sorti il y aura bientôt trois quarts de siècle. Avec Katharine Hepburn et Humphrey Bogart, je n'ai que peu hésité...

C'est presque sans la moindre info préalable que j'ai donc foulé le sol africain, dans l'actuelle Tanzanie, vers le début de l'automne 1914. Déclarée en Europe, la Première guerre mondiale atteint cette terre lointaine: le révérend britannique Samuel Sayer, tout à fait dépassé par les événements, voit son congrégation ravagée et les hommes valides du village attenant enrôlés (de force) dans l'armée du Kaiser. Le choc est si violent pour lui que le pauvre devient fou et meurt ! Résultat: sa soeur Rose, qui était son assistante, se retrouve seule...

Attendez ! Ne pleurez pas ! Et ne partez pas non plus ! Pas si vite ! L'endeuillée est rejointe par un Canadien, Allnutt, qu'elle connaissait comme employé d'une compagnie minière et facteur occasionnel. L'odyssée de l'African Queen débute véritablement quand le bougre l'embarque sur le canot à moteur qui est son véhicule professionnel. Mieux encore, quand il lui promet de descendre avec elle le fleuve voisin pour retrouver l'ennemi allemand et mener contre lui une action de résistance - non, je ne vous donnerai pas davantage de détails. Soyez sûrs d'une chose: récemment restauré, le film est superbe. Malgré quelques préjugés d'époque, son scénario est surprenant quand on s'attend au sacrifice de héros parfaits contre des méchants sanguinaires. C'est après ma séance que j'ai lu que Hepburn et Bogart avaient adoré collaborer: de fait, leur complicité rejaillit à l'écran. Tourné en partie en Afrique, leur "pas de deux" a quelque chose d'atypique, comparé à d'autres merveilles de l'âge d'or hollywoodien. Cerise sur le gâteau: au final, c'est une oeuvre joyeuse. Et optimiste !

L'odyssée de l'African Queen
Film (anglo-)américain de John Huston (1951)

Bon... j'ai décidé d'arrondir ma note en oubliant les quelques clichés évoqués ci-dessus (ils concernent les Africains et l'armée allemande). Je me suis dit que ce n'était pas tous les jours qu'un film d'aventures commençait en 1914 et prêtait à sourire. La lente descente de fleuve effectuée dans Apocalyse now sera nettement moins réjouissante. Idem pour la pérégrination africaine du Poilu portugais de Mosquito...

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Un dernier conseil...

Si vous ne l'avez pas déjà fait, je vous recommande de fouiller le Web pour dénicher des anecdotes sur l'histoire du film et de son tournage. Première étape possible, "L'oeil sur l'écran" rappelle également le lien à faire avec le Chasseur blanc, coeur noir de Clint Eastwood (1990).

lundi 29 septembre 2025

L'insatiable

Il tourne actuellement un polar - Mystyk - dans le Lot-et-Garonne. Aucune date de sortie n'a encore été annoncée pour ce long-métrage qui fait appel à ses talents d'acteur (principal) et de coréalisateur. Raphaël Quenard n'a visiblement aucune intention de lever le pied ! Aujourd'hui, je voulais dire 2-3 mots de son travail, hors du cinéma...

Vous le savez sûrement: l'ancien chercheur et assistant parlementaire a publié en mai son premier roman, chez Flammarion, un jour à peine après l'ouverture du 78ème Festival de Cannes. Un succès public immédiat, paraît-t-il - je cherche des chiffres récents pour le vérifier. Cela dit, j'ai désormais lu Clamser à Tataouine et je dois même dire qu'il ne m'a fallu que deux jours pour "venir à bout" de ses 193 pages !

Et alors ? Raphaël n'est pas un génie, mais un auteur intéressant. Honnête, il fait mieux que surfer sur la vague de l'indéniable culot auquel il doit une partie de sa notoriété. Oui, le Quenard écrivain vaut bien le Quenard comédien: on retrouve une part de sa faconde légendaire dans ses écrits. Toute ressemblance avec un jeune type réellement existant et doué pour le verbe est officiellement fortuite. C'est rassurant, dans la mesure où il est ici question du parcours fou d'un homme qui rate son suicide et se transforme en tueur en série...

"Mon livre n'est pas noir. Il est plutôt marrant", assurait le trublion dans une interview récente (à lire dans Vraac, mensuel grenoblois). Chacun de nous en jugera selon ses propres critères d'appréciation. Pour ma part, je le trouve au moins aussi barré que celui qui l'a écrit. Ce n'est pas tout dire, certes, mais c'est déjà dire beaucoup, je crois. Nul ne sait si le bon Raphaël a encore l'intention de taquiner sa muse littéraire... et quelle forme cette envie prendrait, le cas échéant. D'après ses déclarations, il a eu besoin de "peut-être sept ou huit ans" pour finaliser son premier opus. "Laborieux" ? Il l'a lui-même admis. Je suppose donc plutôt qu'on le reverra bientôt... sur un écran géant !

Pour mémoire, j'ai déjà présenté huit de ses films sur le blog. L'occasion d'en republier les liens, par année de sortie en salles...

- 2020 : Gagarine,
- 2021 : Fragile - Mandibules,
- 2022 : Coupez !,
- 2023 : Chien de la casse (photo) - Sur la branche - Yannick,
- 2024 : Les trois fantastiques.

Cette liste non exhaustive ne demande bien sûr qu'à être commentée. Elle pourra être complétée par mes soins - et grâce à vos suggestions.

vendredi 26 septembre 2025

Bidonville

Je vais être franc: je n'avais jamais entendu parler de la Cañada Real avant de voir Ciudad sin sueño au cinéma. Ce bidonville espagnol s'étend pourtant sur plusieurs kilomètres, à quelques minutes à peine du centre de Madrid. Y vivent principalement des immigrés marocains et des Roms. Environ 7.000 personnes, selon une estimation de 2017.

"J'ai voulu me confronter à un mode de vie en voie de disparition". C'est notamment ce qu'a raconté le jeune réalisateur Guillermo Galoe dans Sofilm, pour expliquer ce qui avait pu le pousser à faire ce film. J'insiste d'emblée sur un point important: il s'agit bien d'une fiction. Elle a pour personnage principal un ado de 14-15 ans, Toni, enfant parmi beaucoup d'autres d'une famille de ferrailleurs. Son existence miséreuse tourne beaucoup autour des bons et longs moments passés avec son ami Bilal, qu'il sait devoir bientôt partir vivre à Marseille. Mélancolique, Toni s'accroche aussi à l'amour qu'il porte à une chienne appartenant à son Paï (grand-père), mais ce dernier échange l'animal contre un lopin de terre où, espère-t-il, il pourra installer les siens. Ces situations de grande précarité sont filmées sans misérabilisme aucun. Ciudad sin sueño présente ainsi la réalité de la Cañada Real de manière frontale, tout en respectant toujours ceux qui y habitent. Ils ont largement été associés au tournage et l'écriture du scénario s'est étalée sur six ans. Avec la ferme intention de ne RIEN idéaliser !

Ce souci de grand réalisme n'empêche pas le film d'être d'une beauté plastique étonnante. Sa représentation du monde de son personnage principal passe par une idée originale: le recours régulier à des vues subjectives, saisies au téléphone portable et modifiées par des filtres colorés. Il en émane une poésie remarquable dans ce contexte social. Reste la réalité crue et cet environnement quotidien fait d'objets délabrés, abandonnés sur le sol de rues souvent privées d'électricité et où l'eau, potable ou non, est une ressource à protéger absolument. N'ayant jamais pu apprendre l'espagnol, je ne suis pas capable de dire si cette Ciudad sin sueño est une ville sans rêve ou sans sommeil. C'est en tout cas une ville animée jusque tard dans la nuit, éclairée alors par maints braséros de fortune qui témoignent de sa situation économique. On nous dit cependant que, même relogés, ses habitants ne seraient pas nécessairement plus heureux ailleurs, dans l'anonymat relatif des grands immeubles urbains susceptibles de les "accueillir". Chacun demeure libre de ses conclusions. Oui, cela reste du cinéma...

Ciudad sin sueño
Film espagnol de Guillermo Galoe (2025)

Un voyage dont on revient mieux informé, mais quelque peu groggy. Avec l'impression que certaines choses évoluent, mais que d'autres pourraient ne jamais changer - cf. le sort qui est réservé aux aînés. On est bien loin de l'imagerie spectaculaire des films sud-américains comme La cité de Dieu (au Brésil) ou Elefante blanco (en Argentine). C'est moins glauque, mais j'ai parfois repensé à Toto et ses soeurs...

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Un autre regard artistique ?
Mon titre reprend celui d'une belle chanson de Claude Nougaro (1966). Je vous renvoie donc sans plus attendre à ses paroles. Et aux images.

Objectivement, mon avis ne fait pas l'unanimité...
Je vous recommande à présent de lire celui de Pascale en contrepoint.

mercredi 24 septembre 2025

Vérités voilées

La crise politique, l'Ukraine, Gaza... il me semble que l'Iran est passé au quatrième rang - ou pire ! - de nos "préoccupations" actuelles. Sorti fin août, La femme qui en savait trop le replace sur le devant de la scène en concentrant son propos sur quelques personnages. Parmi eux, Tarlan, une ancienne professeure de danse et syndicaliste.

Le film s'ouvre sur un (très beau) plan-séquence lors d'une répétition. Tarlan apprécie la compagnie de sa fille adoptive et de sa petite-fille. Mais le ton se fait vite plus grave: la plus jeune des deux adultes subit la violence de son mari et, soudain, a des ennuis avec la police parce qu'elle ne porte pas son hijab. Il se passe quelques minutes avant que nous découvrions... qu'elle a été tuée, et peut-être bien par cet époux indigne. C'est sur cette hypothèse que le scénario construit le suspense que nous promettait le titre à la Hitchcock choisi pour la version francophone du long-métrage. Je ne pense pas qu'il faille cependant le qualifier de thriller ou même de film policier. La femme qui en savait trop s'intéresse davantage aux convictions et aux actions de sa principale protagoniste qu'à la stricte vérité. D'ailleurs, si meurtre il y a eu, il n'est que suggéré, jamais montré. Tourné dans la clandestinité, le film évolue de fait sur un fil. Tendu...

Aussitôt son travail terminé, le réalisateur s'est exilé en Allemagne. C'est probablement ce qui explique la nationalité officielle de l'opus débarqué dans nos salles de cinéma le mois dernier, dont la langue demeure toutefois le farsi. Anecdote intéressante: pour le seconder dans l'écriture du script, le cinéaste a aussi fait appel à un confrère prestigieux, lui-même en délicatesse avec le régime: Jafar Panahi. Oui, le lauréat de la Palme d'or cette année - j'en reparlerai bientôt ! Orienté autour de la superbe Maryam Boubani, une actrice militante concrètement engagée sur le terrain, La femme qui en savait trop évoque sobrement le combat du mouvement Femme, Vie, Liberté. Bravo à deux autres comédiennes: Hana Kamkar et Ghazal Shojaei. Les rôles masculins ne sont pas moins intéressants: il est donc juste de relever la contribution de Nader Naderpour et Abbas Imani, interprètes du gendre de Tarlan et de son fils, à la réussite du film. Un propriétaire ambigu ou un policier... d'autres incarnations viriles parsèment le récit. Ce serait regrettable de ne pas vouloir l'entendre !

La femme qui en savait trop
Film (irano ?-)austro-allemand de Nader Saeivar (2025)
Du bon grain à moudre, en attendant l'arrivée de la Palme mercredi prochain: il me semble nécessaire de soutenir ce cinéma courageux. Souvenez-vous: l'année dernière, Les graines du figuier sauvage s'inscrivait dans le même contexte sociétal. Nous avons de la chance de pouvoir découvrir ces films, comme d'autres avant eux: Les chats persans, Une séparation, Un homme intègre, Leila et ses frères...

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Et parmi les avis sur le film du jour...

Je vous suggère désormais d'aller (re)lire celui de notre amie Dasola. Arrivé un peu plus tard, celui de Pascale mérite aussi votre attention.

lundi 22 septembre 2025

Face au virus

J'avais beaucoup aimé son tout premier long et, bien qu'il soit reparti avec la Palme du Festival de Cannes 2021, un peu moins le second. Après Grave et Titane, Julia Ducournau a fait son retour avec Alpha. Longtemps hésitant, j'ai enfin cédé à l'envie de voir ce troisième film malgré la tendance critique négative qui aura accompagné sa sortie...

Alpha
? Le titre du film est également le prénom de sa jeune héroïne. Âgée de 13 ans, cette adolescente tracasse d'autant plus sa mère qu'elle revient un matin d'une soirée avec un A tatoué sur l'épaule gauche. Or, impossible pour Maman de connaître l'auteur de ce dessin et les circonstances dans lesquelles il a été réalisé. D'où l'inquiétude de cette médecin qui, chaque jour, doit s'occuper de patients touchés par un virus, transmis par le sang et qui les transforme en pierre ! Problème supplémentaire: sa cohabitation avec un frère toxicomane. Bref, autant vous le dire franco: la barque scénaristique est chargée. C'est, je trouve, le défaut majeur de cette création: ses thématiques possibles sont trop nombreuses pour ne pas nous perdre en chemin. Comme si l'abondance de moyens techniques prenait alors le dessus...

D'abord sincère, mon intérêt pour les personnages a trop vite décliné. Les acteurs ? Mélissa Boros, 20 ans, n'est pas vraiment la "révélation incandescente" que le magazine Vogue a cru déceler en elle. Une fois n'est pas coutume, Golshifteh Farahani est moyenne: une déception. Heureusement, Tahar Rahim relève le niveau: la vingtaine de kilos qu'il a accepté de perdre pour le rôle le conduisent à une composition dantesque et donc convaincante, à défaut d'être tout à fait inspirée. Visuellement, Alpha n'est pas de bon goût, mais impressionne fort. C'est un véritable cauchemar, se jouant de nos émotions primaires comme la peur, la colère ou la répulsion. J'ajoute que son cadre réel demeure imprécis - il semble que ce soit la Normandie (Le Havre). Julia Ducournau s'est aussi aventurée à multiplier les temporalités. Résultat: si, au début du film, on peut imaginer être dans le temps présent, on risque de s'égarer ensuite en essayant de suivre le fil illogique de flashbacks impromptus, où les époques se mélangent ! Que faut-il dès lors comprendre ? Je ne suis pas certain de le savoir...

Alpha
Film français de Julia Ducournau (2025)

C'est déjà convaincu que la réalisatrice pourrait devenir une figure importante du cinéma national que j'ai donné sa chance à cet opus. Las ! Les outils mis à sa disposition me paraissent en fait l'enfermer dans un univers borné, où ses seules idées et lubies ont droit de cité. L'aspect horrifique de ses oeuvres n'est pas si moderne, finalement. Je préfère les classiques: Carrie, Suspiria ou Evil dead, par exemple.

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Et je ne suis pas le seul déçu, on dirait...

Vous vérifierez d'ailleurs que l'avis de Pascale est encore plus cinglant.

samedi 20 septembre 2025

À sec

Vous l'aurez constaté... ou pas: le cinéma australien se fait assez rare sous nos latitudes. Pour cette ultime chronique estivale, j'ai envie d'évoquer un film que la crise Covid a privé d'une sortie dans les salles françaises: Canicule (qui, en fait, nous parle plutôt de sécheresse). Ce qui a pu m'attirer ? La présence d'Eric Bana dans le rôle principal...

L'acteur était en fait le seul que je connaissais dans la distribution. Son charisme le rend bon et crédible dans le rôle d'Aaron Falk, un flic de retour dans la ville de son adolescence pour assister aux obsèques d'un vieil ami. Situation sordide: le défunt est supposé s'être suicidé après avoir tué sa femme et son petit garçon. Mais le doute persiste sur ce qui s'est réellement passé, à la fois quelques jours auparavant et vingt ans en arrière, Aaron étant désigné responsable de la noyade d'une fille de son entourage. Une double enquête (re)démarre donc. Que dire ? Le film que j'ai vu s'avère assez efficace dans son genre. Ses presque deux heures passent vite et sans véritable temps mort. D'aucuns l'ont comparé avec ceux que Clint Eastwood a su réaliser dans sa veine intimiste: je dirais que c'est un trop gros compliment pour ce long-métrage de bonne facture, certes, mais qui reste sage. Qu'il se place sur une terre où il n'a pas plu lors des 324 jours écoulés importe assez peu: l'histoire aurait été la même au coeur de l'Alaska. Soyez en tout cas sûrs d'une chose: je n'ai rien de honteux à signaler !

Canicule
Film australien de Robert Connolly (2021)

Ah oui, ce titre... celui de la VO (The dry) me semble plus approprié. Il est regrettable que le scénario n'exploite pas davantage cet espace éminemment cinégénique qu'est le bush, créant cependant une ville imaginaire - Kiewarra - dont j'aurais aimé sentir l'intense chaleur. Pour cela, le mieux aurait été de revoir Tracks, dans un autre genre. Côté polars, je conseille Dans la brume électrique et La isla minima.

jeudi 18 septembre 2025

Faux frères

Pat Garrett et Billy le Kid: le titre est explicite pour évoquer deux des plus fameux hors-la-loi américains, vers la fin du 19ème siècle. Une petite dizaine d'années séparaient ceux qui restent des légendes de l'Ouest et furent peut-être des amis. C'était avant que le premier décide de se ranger. Devenu shérif, il entama une traque du second...

Je laisse à d'autres le soin de vous dire ce que l'on sait avec certitude de leurs incroyables parcours. Le cinéma vous en donnera une vision particulière sous la caméra du grand Sam Peckinpah. Il faut savoir que le réalisateur n'a pas pu imposer son regard à ses producteurs. Plusieurs versions du film ont dès lors circulé: je crois en avoir vu une assez proche de ce que les spécialistes appellent un "director's cut". Avec James Coburn et Kris Kristofferson en tête d'affiche, ce western tardif m'a beaucoup plu. Prudence ! La violence y occupe une place importante: les bandes naissent - et meurent - à coups de revolver. Les conflits se règlent presque à chaque fois en duel ou en fusillade. Et, si le monde change, ce serait plutôt à l'avantage des propriétaires terriens qu'à celui des ultimes desperados, avides de grands espaces !

Il y a de fait une certaine mélancolie dans Pat Garrett et Billy le Kid. Elle est accentuée par une bande originale écrite par... Bob Dylan ! Surprise: du haut de ses 32 ans, l'acteur figure aussi dans le casting et, même si son rôle n'est pas central, il s'en tire honorablement. L'ironie là-dedans, c'est que son personnage (mutique) s'appelle Alias. Le film, lui, met en avant une photo irréprochable, où les codes esthétiques classiques du Far West sont plus que respectés: sublimés. Le scénario est limpide et un astucieux montage alterné nous permet de suivre les différentes pérégrinations des principaux protagonistes jusqu'à la toute dernière rencontre, décisive. Une forme de suspense s'instaure parfois et, de manière logique, la tension va crescendo. Aujourd'hui réhabilité, cet opus fait donc lui aussi office de standard. Pas de vrais héros, cependant: juste des hommes et leurs destins. Certes, on pourrait trouver à redire, mais j'y ai trouvé mon compte...

Pat Garrett et Billy le Kid
Film américain de Sam Peckinpah (1973)

Pleine satisfaction personnelle pour cette toute première incursion dans le travail du cinéaste californien. J'en ferais volontiers d'autres. Vous pourrez désormais replacer ce bel opus face à une production d'Arthur Penn: Le gaucher - avec Paul Newman (1958). Les années 70 rivalisent avec Little Big Man, Bad company ou Jeremiah Johnson. Et Clint Eastwood dans L'homme des hautes plaines et Josey Wales !

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Mon film du jour titille votre curiosité ?
Princécranoir, Benjamin et Lui ont, eux aussi, témoigné de leur avis. Et Vincent l'a (notamment) cité dans une réponse à un questionnaire !